Carnet de voyage d'Aubeline Ventregrog

par Aleph Dim 8 Nov 2020 - 14:54

Le 10 kaldezeit, matinée. J’ai enfin obtenu ma première véritable mission auprès de la Loge, à laquelle je pourrai bientôt pleinement appartenir !

Quelle fierté d’avoir été jugée digne de leur confiance. Mais quelle pression également… J’ai tout fait pour paraître solide et sûre de moi devant mon contact Fezzick Joligibet, mais mon cœur s’est mis à battre la chamade, mes mains se sont mises à trembler dès que je me suis retrouvée seule. J’ai d’abord ruminé un moment sur mes scrupules : était-il juste d’utiliser une pauvre fillette innocente pour servir notre cause ? Allons ma grande, reprends donc une cuisse de poulet et cesse de cogiter, la cause de la Loge mérite bien quelques sacrifices, et la faim justifie les moyens comme on dit chez moi ! Je me suis alors concentrée sur la façon dont j’allais m’y prendre pour intercepter la petite Bianka. Et ça n’a pas calmé mes tremblements ! Comment allais-je pouvoir faire, seule et inexpérimentée ? Aucun des plans qui me traversaient l’esprit n’avait la moindre chance d’aboutir. Alors j’ai recroqué dans mon poulet et tout à coup un groupe d’humains est entré avec fracas dans l’auberge du Cocotin. Il y avait un capitaine intimidant, un abruti qui se donnait des airs de dur à cuire, et un prêtre de Verena à l’allure des plus austères, mais qui s’est avéré juste et intègre. À partir de là, impossible de réfléchir tellement il y a eu d’agitation : le gros dur voulait faire pendre un pauvre type qui gisait au fond d’une fosse et qui prétendait être innocent, et plusieurs clients de l’auberge ont pris sa défense en argumentant en faveur d’une justice moins expéditive.

Il y avait ces deux elfes, une rousse prétentieuse fidèle à l’image qu’on peut se faire des oreilles-pointues, et Ema, qui m’a paru animée de bons sentiments. Il y avait aussi un horrible nain au torse nu et velu, un de ces tueurs de trolls qui font froid dans le dos. Tous ont réussi à convaincre le prêtre de mener une enquête décente à Gersdorf. Moi je mâchonnais dans mon coin mais j’ai pensé : « Eh, ma grande, si tu ne te sens pas de taille à enlever la petite Bianka Radische toute seule, peut-être qu’avec cette troupe-là ce serait plus facile ! ». Alors je me suis timidement avancée vers Ema pour me faire remarquer... et miracle ! Ils se sont intéressés à moi ! En ayant l’air de me prendre pour une gamine, certes, mais ils ont eu l’air prêts à m’aider à condition que je les accompagne à Gersdorf. « Sauver un innocent, même humain, pourquoi pas ? » je me suis dit, seulement il ne fallait pas que je traîne, et Ossino, l’endroit où se trouvait ma cible, se trouvait dans la direction opposée... J’étais en train de chercher une solution quand je me suis soudain retrouvée à terre avec les oreilles qui sifflent : c’était cette brute de Ragnar, le nain, qui venait d’essayer de m’assommer pour couper court à mes hésitations ! Pour ne rien arranger il a ensuite voulu me porter comme si j’étais une petite fille ! N’empêche qu’il a promis de m’aider à mettre la main sur la petite Radische une fois notre première affaire résolue, et il a même essayé de soigner ma blessure pour se faire pardonner. C’était agaçant mais plutôt mignon, je ne savais pas que les nains pouvaient se montrer affectueux.

Le 10 kaldezeit, après-midi. Nous voilà déjà sur la route du retour de Gersdorf, il n’a pas été difficile de trouver plusieurs personnes en mesure d’attester que le pauvre prisonnier n’est pas celui qu’on l’accuse d’être. Ainsi nous rentrons accompagnés de sa femme et de l’aubergiste de Gersdorf. La route est longue et j’ai le ventre vide. Vivement notre retour au Coco teint !

Le 10 kaldezeit, soir. J’ai eu droit à des repas gratis à l’auberge après qu’on a réussi à convaincre le capitaine de libérer l’humain qui moisissait dans la fosse. Je m’apprête maintenant à dormir au milieu du dortoir, entouré de mes nouveaux compagnons. Demain sera un grand jour, je vais faire avancer la cause des Halflings et me faire accepter au sein de la Loge !

Le 11 kaldezeit, soir. Quelle journée ma foi ! Si seulement le vieux Ventregrog était encore là pour entendre mon récit ! Nous sommes partis du Coq au Thym de bonne heure pour embarquer sur un navire marchand en direction d’Ossino. Un peu avant notre arrivée nous avons croisé un étrange cortège de pèlerins qui a attiré l’attention de mes compagnons, surtout des deux elfes. La grande hautaine m’a fait peur en supposant qu’il pouvait en réalité s’agir de bandits et que la petite Radische était peut-être déjà dans leurs griffes. Personne n’y a cru, moi-même je me suis ressaisie en pensant que c’était improbable. Ah, par les blés je jure que j’écouterai cette rouquine la prochaine fois ! Après avoir finalement décidé de ne pas nous attarder sur cette troupe inquiétante, nous sommes arrivés à Ossino où j’ai appris que la charrette transportant Bianka était déjà en route pour Helmsdorf ! Sans perdre une seconde nous nous sommes élancés après elle… Pour nous retrouver devant le pire spectacle qu’il m’ait été donné de contempler. Beurk rien que d’envisager de le décrire me fait craindre de rendre une nouvelle fois mon repas ! Par le dentier de la mère Ventregrog, l’un des corbeaux avait un œil… un œil dans son… dans son… berk ! Et le pire c’est qu’il restait une femme, encore vivante au milieu du carnage, et que cette femme nous a confié avant de rendre l’âme que la troupe de faux pèlerins rencontrés auparavant avait enlevé la petite Bianka ! Cette fois j’ai bien cru que j’allais m’évanouir, mais j’ai pensé à mon peuple, à mon combat, à notre cause, et j’ai réussi à me reprendre. Nous avons fait demi-tour et nous sommes précipités sur la piste de ces odieux assassins. Après un moment nous sommes arrivés sur les lieux d’un nouveau massacre, où s’étendaient les cadavres de plusieurs brigands et de… mais qu’est-ce que c’était que ces créatures à la peau verdâtre et dont les dépouilles sentaient encore plus mauvais que la barbe de Ragnar ? En fouinant dans la charrette laissée à l’abandon nous avons trouvé une missive inquiétante, qui confirmait que la pauvre Bianka faisait partie du convoi attaqué. Si j’avais seulement eu le temps de réaliser tout ce qui se passait, je pense que j’aurais fondu en larmes et que je serais encore passée pour une gamine auprès de mes camarades. Mais les événements se sont précipités, des cris effrayants se sont fait entendre dans les bois et nous avons repris notre course dans leur direction.
Des gobelins ! Des orques énormes ! Des loups ! Et la pauvre Bianka au centre de cette troupe nauséabonde de monstres verts qui la poussaient et la malmenaient. Ta fronde, garde la tête froide ma grande et attrape ta fronde ! Bim, un caillou en plein dans l’œil d’un grand orque… Enfin, je crois que j’ai touché l’œil, en tous cas pour sûr il a crié bien fort ! Bam, un autre caillou, l’orque s’effondre ! Je me jette sur la fillette pendant que mes compagnons font leur fête à ces peaux-vertes puants ! Je crois qu’elle m’a mordu en pensant que j’allais lui faire du mal, mais nous avons réussi à triompher et à ramener Bianka saine et sauve à Ossino. Quelle aventure !
Comme convenu j’ai fait signe au Halfling de l’auberge pour le prévenir que l’affaire était réglée. Et alors que je me remettais de mes émotions en partageant une marmite de soupe de mouton avec mes nouveaux amis, j’ai reçu un signal m’informant que la Loge était prête à me recevoir. Ils étaient plusieurs à m’attendre dans la nuit froide derrière l’auberge. Ils m’ont informée que le baron Von Radische avait trouvé la mort dans un malheureux « accident ». Tu parles ! Quoi qu’il en soit on se retrouve avec la petite sur les bras, nos espoirs de toucher une rançon aux oubliettes. Finalement la Loge ne touchera pas un Radische ! Et la petite Bianka n’a plus d’autre avenir que de finir pupille de Shallya au couvent d’Altdorf. Ma foi elle sera sans doute mieux là-bas que dans les griffes de son infâme tuteur.
Ainsi s’achève ma première grande aventure ! Mes compatriotes de la Loge m’ont félicitée, j’ai pu voir dans leur regard qu’ils étaient fiers de moi, qu’ils se réjouissaient d’avoir recruté un agent de grand talent, un futur officier sans doute… Bon, en tous cas ils m’ont jugée digne de servir de nounou à la petite Bianka, qui n’a pas arrêté de chouiner et de pleurer depuis qu’on l’a secourue. Je comprends sa détresse mais enfin, je ne sais vraiment pas comment m’y prendre avec une petite humaine. Par ma panse, la route pour Altdorf promet d’être longue !